Apport de l’échographie dans le diagnostic d’une épaule douloureuse.
- Détails
- Mis à jour le 17 février 2013
Abdellah El Maghraoui
Service de Rhumatologie, Hôpital Militaire d’Instruction Mohammed v, Rabat, Maroc.
Résumé
L'échographie est devenue actuellement un outil d'imagerie incontournable dans l'évaluation des pathologies de l’appareil locomoteur. Elle a plusieurs avantages par rapport aux autres techniques d'imagerie:c’est un examen non invasif et multiplanaire, très facilement accepté par les patients, caractérisé par une absence de rayonnements ionisants etun coût relativement limité permettant de le répéter à volonté. En outre, l’échographie offrela possibilité d’étude dynamique en temps réel des articulations et des tissus mous environnants. Les indications cliniques les plus courantes pour l'examen échographique de l'épaule sont les pathologies de la coiffe des rotateurs et la pathologie du tendon du biceps ainsi que les pathologies des autres structures des tissus mous. L’échographie est très utile pour les gestes écho-guidées (biopsies, ponctions et infiltrations des bourses et aspirations des tendinites calcifiantes). Le but de cet article est de décrire l’apport de l’échographie dans l’exploration d’une épaule douloureuse et de décrire les aspects normaux et pathologiques.
Introduction
La place de l'échographie dans l’exploration des douleurs de l’épaule et notamment dans les pathologies de la coiffe des rotateurs connaît aujourd'hui un essor en grande partie lié à l'amélioration des performances technologiques des machines. En outre, les avantages de cette technique sont nombreux associant le coût faible, le caractère non invasif, la grande disponibilité des machines et la possibilité spécifique par rapport aux autres techniques d’imagerie d’étudier la microvascularisation des tissus grâce au Doppler puissance, de pouvoir réaliser une étude dynamique mais aussi de pouvoir guider des gestes thérapeutiques (ponction, infiltration, aspiration d’une calcification)[1]. Sa place actuellement comme complément de l’examen clinique en fait un outil indispensable dans tout cabinet de rhumatologie[2]. Il s'agit toutefois d'un examen nécessitant une grande expertise technique de la part de l'opérateur qui doit respecter un protocole rigoureux et standardisé d'exploration et s'appliquer dans le choix des images et dans la rédaction du compte rendu[3, 4].
Principes généraux
L’échographie est le prolongement logique de l’examen clinique devant une épaule douloureuse. Elledevraitidéalement toujours être réalisée après les clichés standard afin de ne pas passer à côté d'une lésion osseuse et/ou articulaire (fracture, tumeur, arthropathie…).L'étude doit être comparative et lecôté considéré comme sain devraservir de référence dans l'évaluationde l'épaisseur et de l'échostructure tendineuse. Chaque tendon est examiné sur 2 plans :parallèlement etperpendiculairement au grand axedes fibres tendineuses. Il est impératif que la sonde soit dans l’axe des fibres afin d'éviter les artéfacts d'anisotropie, qui créent des images hypoéchogènes, pouvant conduire à des erreurs de diagnostic. Dans tous les cas, la règle est de ne retenir un aspect pathologique que s’il est retrouvé dans les 2 plans de coupe. Enfin, l'examen comporte toujours une étude dynamique qui permet de visualiser en direct l’harmonie du mouvement des tendons et l’existence d’un éventuel conflit[5].
Conduite de l'examen
Un interrogatoire rapide et un examen clinique sommaire sont souvent utiles avant de démarrer, en particulier si l’échographie a été demandée par un confrère, ce qui permettra de corréler les résultats de l’échographie avec les signes cliniques.
L’utilisation d’un appareil de qualité avec une sonde linéaire multi-fréquences (9-12 MHZ) et d’un examen standardisé sont les pré-requis pour un examen fiable de l’épaule[6].L’examen débute par l’installation du patient de préférence sur un tabouret mobile. Chaque opérateur choisira la position où il est le plus à l’aise : debout ou assis, devant ou derrière le patient mais dans tous les cas il faut être en position surélevée par rapport au patient pour éviter de se faire soi même mal à l’épaule !
L’examen se fera de façon systématique en plusieurs temps[7] :
- Le tendon du long biceps est examiné en premier en rotation indifférente. Il peut être analysé depuis son insertion glénoïdienne jusqu'à sa jonction myotendineuse.
- Ensuite le subscapulaire est étudié en mettant l’avant bras en rotation externe. Après son exploration dans les 2 plans de l’espace, on pourra observer la façon dont le tendon subscapulaire coulisse sous la coracoïde afin de dépister un conflit antérieur.
- Le tendon supra-épineux, qui est le plus fréquemment lésé dans les conflits sous acromiaux, est ensuite étudié avec soin. On demande au patient de placer sa main sur sa fesse comme s’il allait la mettre dans la poche arrière de son pantalon ou de placer le dos de sa main derrière le dos, entre les omoplates. Cesmanœuvres permettent de dégager le tendon de la superposition acromiale. Si la mobilité active de l'épaule est trop limitée, le patient peut s'aider de la main opposée. On analysera évidemment la structure, la forme et la taille du tendon mais aussi les contours du trochiter et des berges osseuses de la coulisse bicipitale.
- La sonde est ensuite placée dans l'axe du ligament acromio-coracoïdien et les manœuvres de rotation interne et externe vont permettre de rechercher un conflit antéro-supérieur, une bursite ou un épaississement des parois de la bourse séreuse sous acromio-deltoïdienne.
- L'infra-épineuxestenfin analysé par voie postérieure en demandant au patient de mettre sa main sur l’épaule contro-latérale.Dans cette position, on pourra visualiser le labrum et l’échancrure spino-glénoïdienne.
- On terminera par l’étude de l’articulation acromio-claviculaire pour vérifier s’il y a un épanchement, un kyste ou une calcification.
- Dans certains cas, on pourra réaliser une coupe du creux axillaire essentiellement pour chercher un épanchement articulaire.
Aspects normaux et pathologiques
- Le tendon du long biceps :
Son calibre est régulier et son échostructure est fibrillaire, hyperéchogène et régulière. Danssa portion extra articulaire, il chemine dans la gouttière bicipitale. Plusieurs anomalies doivent être recherchées:
- Un épanchement liquidien dans la coulisse bicipitale qui traduit simplement la présence d'un épanchement intra-articulaire (figure 1).
Figure 1 : coupe axiale (a) et longitudinale (b) du tendon de la longue portion du biceps montrant un épanchement liquidien anéchogène autour du tendon.
- Une tendinopathie et dans ce cas le tendon long biceps peut apparaître épaissi et globuleux en coupe axiale et il est le plus souvent hypoéchogène. Le Doppler puissance vérifiera la présence ou non d’une inflammation.
- Une luxation bicipitale interne qui est en général secondaire à une rupture ou à une désinsertion du tendon subscapulaire. Le tendon peut se situer à cheval sur la berge interne de la coulisse bicipitale, en regard du trochin ou plus franchement en dedans. Les manœuvres dynamiques, en faisant porter le bras en rotation interne puis en rotation externe, peuvent parfois déceler une subluxation.
- Une rupture tendineuse qui fait souvent suite à une rupture de la coiffe des rotateurs. Lorsque le tendon long biceps est complètement rompu, la coulisse bicipitale paraît vide.
- Les tendons de la coiffe des rotateurs :
Les tendons présentent des contours réguliers convexes vers la sonde. Leur échostructure esthyperéchogène, fibrillaire et régulière. Plusieurs lésions peuvent être identifiées :
- Les ruptures tendineuses :les ruptures débutent dans la très grande majorité des cas par le supra-épineux et peuvents'étendre ensuite en arrière vers l'infra-épineux et en avant vers le subscapulaire.
• La rupture transfixiante du supra-épineux se traduit le plus souvent par une perte de la convexité normale du versant superficiel du tendon, dite signe « du méplat » visualisée sous forme d’une dépression focalisée (figure 2). En regard de cette anomalie de contour, le tendon rompu est souvent remplacé par une zonehypoéchogène.Lorsque la rupture est récente, le tendon est remplacé par une zone liquidienne anéchogène traversant toute l'épaisseur du tendon et soulignant les berges proximale et distale de la rupture qui sont alorsbien visibles (elle peut donner aussi l’aspect de « cartilage anormalement bien visible »). Dans tous les cas, la taille de la rupture devra être appréciée. En cas de rupture ancienne, le tendon a alors complètement disparu (aspect de « tête décoiffée » ou « chauve »). Les ruptures tendineuses peuvent s'accompagner d'un épanchement intra-articulaire (se traduisant par un épanchement dans la gaine du long biceps), d'un épanchement dans la bourse sous acromio-deltoïdienne ou d'un épaississement hyperéchogène de ses parois. La présence simultanée d'un épanchement intra-articulaire et d'un épanchement dans la bourse sous acromio-deltoïdienne appelé « signe du double contour » est un bon signe indirect de rupture transfixiante de la coiffe des rotateurs. On peut également observer une enthésopathie du trochiter, avec des remaniements osseux hypertrophiques et irréguliers.
Figure 2 : coupe longitudinale du tendon supra-épineux montrant une rupture transfixiante (dépression focalisée ou méplat avec zone anéchogène traversant toute l’épaisseur du tendon).
• La rupture partielle du supra-épineux peut être difficile à identifier. On peut observer un défect localisé sur un des versants tendineux qui sera occupé par une zone hypoéchogène non transfixiante. On recherche également un amincissement ou un discret méplat tendineux.Il peut s’agir d'une lésion du versant tendineux profond, réalisant un clivage tendineux avec une désinsertion du feuillet tendineux profond,alors que le feuillet tendineux superficiel reste continu .Les lésions du versant superficiel du tendon et leslésions purement intra-tendineuses sont plusrares.
• La rupture de l'infra-épineux peut, comme pour le supra-épineux, se traduire par un amincissement extrême ou par une dénivellation du contour superficiel du tendon, surplombant une zone hypoéchogène. La rupture partielle non transfixiante est en général un clivage du tendon dans le grandaxe de ses fibres, encore appelée dissection lamellaire.
• La rupture du subscapulaire sera visualisée sous forme d’une zone hypoéchogène qui remplace le tendon au contact du trochin, juste en dedans du tendon du long biceps.
- Les tendinopathies de la coiffe :il faut savoir qu’en cas de tendinopathie le tendon peut présenter un aspect échographique normal. Dans les formes évoluées, le tendon peut être épaissi, hétérogène et le plus souvent hypoéchogène. L'étude comparative est essentielle, car à partir de la quarantaine, il est fréquent d'observer despetites modifications de l'échostructure tendineuse[8].
- Les calcifications tendineuses :elles sont hyperéchogènes et arrêtent le plus souvent le faisceau ultra-sonore avec un aspect de cône d'ombre postérieur (figure 3). Ces calcifications, lorsqu'elles sont volumineuses,peuvent entraîner un épaississement du tendon et favoriser ainsil'apparition d'un conflit. L'échographie permet parfois de visualiser despetites calcifications qui peuvent être méconnues sur les clichés standard. Elle donne également des renseignements précieux sur la densité des calcifications : alors que les ponctions suivies d’un lavage-aspiration devraient logiquement s’adresser à des calcifications « molles » de type pâte dentifrice sans cône d’ombre postérieur à l’échographie, il a été proposé de réserver aux calcifications dures «crayeuses», la thérapie par ondes de choc extracorporelles[9].
Figure 3 : calcification avec cône d’ombre postérieur sur le tendon supra-épineux en coupe longitudinale.
- La bourse séreuse sous acromio-deltoïdienne : un épanchement de la bourse sous acromio-deltoïdienne se traduit par la présence d'une collection liquidienne sous le ligament acromio-coracoïdien ou en avant du tendon subscapulaire et du long biceps. Parfois, il s'agit d'un épaississement des parois de la bourse. Les manœuvres dynamiques permettent parfois en mobilisant l'épanchement de le visualiser plus facilement. Le Doppler puissance peut renseigner sur l’état inflammatoire local (figure 4). Des calcifications dans la bourse peuvent également s'observer.
Figure 4 : bursite sous acromio-deltoïdienne avec signal Doppler.
- Les manœuvres dynamiques
Il s'agit d'un temps essentiel de l'examen. Tout au long de l'examen, les tendons de la coiffedes rotateurs, le tendon long biceps et la bourse sous acromio-deltoïdienne sont étudiés defaçon dynamique. Ces manœuvres dynamiques permettent également de rechercher un conflitantérieur ou antéro-supérieur.
- Le conflit antéro-supérieur : la sonde est positionnée dans l'axe du ligament acromio-coracoïdien. Ce dernier apparaissant comme une bande hyperéchogène et fibrillaire tendue entre les deux structures osseuses. Le bras du patient étant tendu, on lui fait effectuer des mouvements de rotation interne et externe, afin de mettre en évidence une déformation ou un ressaut du supra-épineux lors de son passage sous l'auvent acromial et sous le ligament acromio-coracoïdien qui peut présenter un aspect bombé. Ce conflit est favorisé par une hypertrophie du bec acromial inférieur et du versant inférieur de l'articulation acromio-claviculaire, par un épaississement tendineux, notamment s'il existe une calcification ou par un épaississement des parois de la bourse sous acromio-deltoïdienne.
- Le conflit antérieur : il résulte d'un conflit entre l'apophyse coracoïde et le tendon subscapulaire. Le plus souvent, ce conflit est en rapport avec une augmentation de volume du tendon subscapulaire, parfois liée à la présence d'une calcification. Le tendon a alors du mal à coulisser sous la coracoïde, d'autant qu'il existe souvent un épaississement des parois de la bourse qui vient encore accentuer le conflit.
- Les masses musculaires
En cas de rupture de la coiffe des rotateurs, il est important d’apprécier la qualité des masses musculaires du supra-épineux etde l'infra-épineux, qui peut influencer la décision thérapeutique. Onrecherche une amyotrophie et une involution graisseuse qui setraduisent par une diminution de volume de la masse musculaire quidevient hyperéchogène. L'étude comparative est essentielle. Lorsqu'il existe une amyotrophie du supra-épineux et/ou de l’infra-épineux, sans rupture de la coiffe des rotateurs, il faut penser à rechercher par voie postérieure et en rotation externe un kyste de l'échancrure spino-glénoïdienne.
- L'articulation acromio-claviculaire
L'échographie peut dépister une arthropathie en montrant une tuméfaction de l'articulation avec parfois un signal Doppler et/ou des ostéophytes.
Conclusion
L'échographie est un examen fiable, quiutilisée en complément de l'examen clinique et desclichés standards, permet d'effectuer à un moindre coût un bilan complet des lésions ab-articulaires responsables de la majorité des épaules douloureuses.
Références
1. Naredo E, Iagnocco A: Why use ultrasound in rheumatology? Rheumatology (Oxford) 2012, 51 Suppl 7:vii1.
2. Iagnocco A, Ceccarelli F, Perricone C, Valesini G: The role of ultrasound in rheumatology. Semin Ultrasound CT MR 2011, 32(2):66-73.
3. Petranova T, Vlad V, Porta F, Radunovic G, Micu MC, Nestorova R, Iagnocco A: Ultrasound of the shoulder. Med Ultrason 2012, 14(2):133-140.
4. Grassi W, Salaffi F, Filippucci E: Ultrasound in rheumatology. Best Pract Res Clin Rheumatol 2005, 19(3):467-485.
5. Allen GM: Shoulder ultrasound imaging-integrating anatomy, biomechanics and disease processes. Eur J Radiol 2008, 68(1):137-146.
6. Tan S, Fairbairn K, Kirk J, Liong W: Shoulder ultrasound. Biomed Imaging Interv J 2006, 2(4):e58.
7. Backhaus M, Burmester GR, Gerber T, Grassi W, Machold KP, Swen WA, Wakefield RJ, Manger B: Guidelines for musculoskeletal ultrasound in rheumatology. Ann Rheum Dis 2001, 60(7):641-649.
8. Girish G, Lobo LG, Jacobson JA, Morag Y, Miller B, Jamadar DA: Ultrasound of the shoulder: asymptomatic findings in men. AJR Am J Roentgenol 2011, 197(4):W713-719.
9. Le Goff B, Berthelot JM, Guillot P, Glemarec J, Maugars Y: Assessment of calcific tendonitis of rotator cuff by ultrasonography: comparison between symptomatic and asymptomatic shoulders. Joint Bone Spine 2010, 77(3):258-263.
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