Imagerie du rachis cervical au cours de la polyarthrite rhumatoïde
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- Mis à jour le 19 juin 2012
S. Chaouir K. Lebbar M Mahi M Jidal M. Ben Ameur.
(Services d'Imagerie Médicale- H.M.I. Mohamed V. Rabat) 07/12/2010
La polyarthrite rhumatoïde est une affection inflammatoire du tissu conjonctif à prépondérance synoviale d'origine multifactorielle et incluant une prédisposition génétique. Elle a une évolution variable avec poussées et rémissions évoluant souvent de façon progressive vers une invalidité. C'est aussi une maladie systémique dont les manifestations extra-articulaires peuvent mettre en jeu le pronostic vital.
Sur le squelette axial la polyarthrite rhumatoïde atteint essentiellement le rachis cervical. L'atteinte du rachis dorsal et lombaire n'est pas habituelle [1]. Le tropisme pour le rachis cervical s'explique par la présence de nombreuses articulations synoviales. La synovite entraîne une laxité ligamentaire et des destructions osseuses sources d'instabilité et de subluxations rachidiennes. Les lésions dues à la synovite sont aggravées par les importantes sollicitations mécaniques du rachis cervical [2].
Les lésions prédominent au rachis cervical supérieur [1345]. Les plus fréquentes et les plus graves de ces lésions sont les subluxations atloïdo-axoïdiennes antérieures et verticales qui menacent de comprimer la moelle ou la jonction bulbo-médullaire. Le rôle de l'imagerie en particulier le scanner et l'IRM est de dépister les lésions asymptomatiques (30%) de préciser les différentes lésions du rachis cervical leur gravité et surtout d'évaluer le retentissement neurologique posant l'indication opératoire.
ASPECTS CLINIQUES
La fréquence de l'atteinte du rachis cervical au cours de la polyarthrite rhumatoïde est estimée entre 25 et 80% selon les séries [16] Elle débute habituellement tôt: 80 % des subluxations vertébrales apparaissent au cours des 2 premières années d'évolution. [17]
L'atteinte cervicale est d'autant plus fréquente et évolutive chez le sexe masculin dans les formes séropositives et dans les formes cortico-résistantes. Plusieurs études ont établi qu'il existe une corrélation entre l'incidence de l'atteinte cervicale la durée d'évolution et la sévérité de la polyarthrite rhumatoïde [689].
Cliniquement 60 à 70 % des patients souffrent de douleurs de troubles fonctionnels ou de manifestations neurologiques [3]. Il s'agit surtout d'une limitation douloureuse de la mobilité cervicale parfois associée à des céphalées occipitales [1011]. Les manifestations neurologiques en rapport avec les subluxations sont présentes dans 11 à 58% des cas [912]. Des paresthésies provoquées par la flexion de la nuque ou des parésies avec faiblesse musculaire sont des symptômes d'alerte. La compression médullaire peut engager le pronostic fonctionnel voire vital d'où l'intérêt de l'imagerie pour détecter l'importance du retentissement neurologique et conditionner la conduite thérapeutique. La corrélation radio clinique n'est pas toujours évidente: 30 % des malades ont des lésions radiographiques asymptomatiques dans certaines séries [13].
Imagerie :
Les moyens d'imagerie en particulier le scanner et l'IRM permettent de préciser les différentes lésions du rachis cervical et de chiffrer leur gravité [1114].
Les clichés standard du rachis cervical de face et de profil sont systématiques éventuellement complétés par un cliché centré sur C1-C2 bouche ouverte quand cela est possible. L'atteinte des articulations temporo-mandibulaires au cours de la polyarthrite rhumatoïde est fréquente et rend difficile la réalisation de cette incidence. Les clichés dynamiques de profil en flexion et en extension sont très utiles pour dépister les instabilités rachidiennes. Les manipulations du malade doivent être cependant prudentes du fait du risque neurologique.
Le scanner et l'IRM sont nécessaires pour identifier les types de subluxations et leur retentissement sur l'axe neuronal. Le scanner permet une très bonne analyse des lésions osseuses et de leur retentissement canalaire. Actuellement le scanner multi-détecteurs permet des reformatages de très bonne qualité. Le plan sagittal est intéressant dans les subluxations antérieures et verticales. Le plan frontal est utile dans les subluxations latérales.
En IRM l'examen comporte des séquences sagittales en spin écho T1 et T2 souvent complétées par des séquences transverses. Les séquences T1 après injection de produit de contraste paramagnétique sont lancées 15mn après injection pour apprécier la prise de contraste du pannus synovial [15]. Des séquences en flexion puis en extension sont parfois nécessaires [16] pour évaluer l'importance du retentissement sur l'axe neural des subluxations et du pannus synovial.
Les atteintes du rachis cervical supérieur sont dominées par les érosions de l'apophyse odontoïde produites par le pannus synovial et les subluxations.
Les érosions de l'apophyse odontoïde sont mieux visibles sur le scanner (Fig.1) et l'IRM que sur les clichés standard. Elles sont présentes dans 88% des cas [17]. Parfois l'ostéolyse de l'odontoïde est tellement étendue (Fig.2) qu'elle simule une dent hypoplasique [18]. L'IRM apprécie mieux le pannus synovial et sa prise de contraste (7). Le pannus aggrave la compression médullaire antérieure [19] et un pannus de plus de 10mm peut à lui seul comprimer la moelle en position neutre (Fig.3).
Figure.1 - Scanner du rachis cervical coupe transverse en C1-C2: érosions de l’apophyse odontoïde.
Figure.2- . Scanner de la jonction crânio-rachidienne : ostéolyse étendue de l’apophyse odontoïde.
Figure.3- IRM de la jonction crânio-rachidienne séquences SEpT1 sans et après injection de produit de contraste paramagnétique : importance du pannus synovial péri-odontoïdien à l’origine de la subluxation antérieure et prise de contraste modérée.
Les subluxations atloïdo-axoïdiennes sont de plusieurs types [202122]
La subluxation antérieure C1-C2 est la plus fréquente (75%). Elle est due à une laxité ou une rupture du ligament transverse. Lors des mouvements de flexion l’atlas se déplace en avant de l’axis et rétrécit ainsi le canal cervical par son arc postérieur cette subluxation se réduit le plus souvent en extension. Cette subluxation est définie chez l’adulte par une distance de plus de 3mm entre l’arc antérieur de C1 et l’odontoïde un déplacement de plus de 9mm comporte un risque neurologique [23]. L’apparition de signes neurologiques est mieux corrélée à une distance postérieure atlas-axis inférieure à 14 mm entre la face postérieure de la dent et le bord antérieur de l’arc postérieur de l’axis [9] (Fig.4). La compression médullaire par l’odontoïde en avant et l’arc postérieur de C1 est visible au scanner et en IRM (Fig.5).
Figure.4- Scanner cervical C1-C2 coupe transverse : luxation antérieure distance dent de l’apophyse odontoïde arc postérieur de l’axis à 11 mm.
Figure.5- IRM cervicale séquences sagittales en SEpT1 et T2 : luxation antérieure atloïdo-axoidienne empreinte antérieure et angulation de la jonction bulbo-médullaire
La subluxation verticale ou impression basilaire (20%) est liée à l’usure osseuse de la charnière crânio-rachidienne. Elle est souvent associée à la subluxation atlas-axis. Elle peut être fatale [24]. Le diagnostic repose sur le cliché de profil avec mesures des indices de Ranawat et de Redlund-Johnel. Un index de Ranawat (< 13 mm) ou de Redlund-Johnel (< 33 mm) est anormal et s’accompagne de signe de compression médullaire en IRM [25]. L’IRM est nécessaire pour évaluer l’importance de la compression bulbo-médullaire (Fig.6).
Figure.6- IRM cervicale coupes sagittales en pondération T1 et T2 : Subluxation verticale ou impression basilaire avec une apophyse odontoïde dans la fosse cérébrale postérieure comprimant la protubérance.
La subluxation latérale (20%) entraîne une asymétrie entre l'odontoïde et l'atlas bien visible sur le cliché de face bouche ouverte. La subluxation postérieure (7%) est rare. Elles n'entraînent généralement pas de compression médullaire.
Parmi les subluxations multi-directionnelles l'association subluxation antérieure et verticale est la plus fréquente. La subluxation antéro-latérale et la subluxation antéro-postérieure sont possibles [26].
Le rachis cervical moyen et inférieur est également atteint au cours de la polyarthrite rhumatoïde.
L'ostéoporose diffuse est fréquente dans la polyarthrite rhumatoïde aggravée par la corticothérapie.
Les anomalies disco-vertébrales observées sont le pincement discal avec condensations somatiques et érosion des plateaux. L'atteinte est fréquente en C3-C4 et C4-C5 (Fig.7). L'étiologie inflammatoire ou dégénérative de ces lésions est discutée.
Les subluxations antérieures des corps vertébraux (10 à 20%) sont peu importantes limitées en général à un étage C3-C4 ou C4-C5 (Fig.8). L'atteinte de plusieurs étages réalise un aspect en marches d'escalier sur les clichés de profil. Le diagnostic de ces subluxations est meilleur sur les clichés de profil en flexion et en extension. Quand le glissement est important lors de la flexion il y'a un risque de compression médullaire existe. L'IRM détecte les étages compressifs. La souffrance médullaire éventuelle se traduit par des zones d'hypersignal intramédullaires sur les séquences pondérées en T2.
Les érosions des apophyses articulaires liées à l'arthrite peuvent aussi être source d'instabilité. Les érosions des apophyses épineuses par atteinte des ligaments inter épineux siègent le plus souvent à la jonction cervico-dorsale.
CONCLUSION:
Les lésions du rachis cervical au cours de la polyarthrite rhumatoïde sont fréquentes diverses et de gravité variable. Certaines sont latentes et doivent être recherchées sur les clichés standard statiques et dynamiques. D'autres telles les luxations atloïdo-axoidiennes sont fréquentes et comportent un risque neurologique qui peut être grave d'où l'intérêt des techniques d'imagerie en coupes. Le scanner et l'IRM permettent d'évaluer le risque.
Ainsi les subluxations à haut risque neurologique où l'intervention paraît s'imposer sont :
- La subluxation verticale ou invagination basilaire surtout si l'index de Ranawat est anormal.
- La subluxation antérieure atlaïdo-axoïdienne de 9 mm ou plus.
- La subluxation du rachis cervical moyen et inférieur de 4 mm ou plus.
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